UN COMTE A BON COMPTE

 

Auteur : René NOMMER

Site web ; http://www.theatrarire.fr

Décembre 2010

Pièce en 3 actes*

Durée :105 minutes

Cinq hommes

Cinq femmes

Décor unique et contemporain

 

Colette et Aristide Rigodon ont deux filles Huguette et Charlotte. Cette dernière cherche en vain l'âme sœur alors qu'elle va sur ses 35 ans. Tous les prétendants se sont enfuis bien qu’elle soit mignonne, mais un peu rondelette. Leur fuite est peut-être aussi liée à la profession du père qui est huissier. Huguette n'a pas ce souci. Des copains elle en a à la pelle, mais c'est elle qui n'est pas pressée pour se marier. De nouveaux prétendants se présentent, Popaul qui vient pour la place de commis, mais aimerait bien se caser, Marc jockey et copain d’Huguette. L’arrivée de Pierre-André de Mortetruy, Comte de son état, expulsé par Aristide, mais invité ironiquement par ce dernier à venir séjourner chez lui, va donner l’occasion à Colette d’échafauder le plus beau des plans pour que sa fille tombe dans les bras du comte et devienne comtesse avec particule s’il vous plaît. L’activité fébrile déployée par Aristide pour se débarrasser de ce comte et ensuite pour le retenir à tout prix est le prétexte d’incroyables situations, que les autres protagonistes, la grand-mère Toinette, Léontine la cancanière, le docteur Puton, contribueront à animer.

Suggestion : Pour donner de la consistance aux personnages, le père peut avoir un ventre et postérieur proéminent qu’il porte avec aisance. Charlotte et Colette peuvent simuler un embonpoint qu'elle perdront au 3e acte.

Cette pièce est censée se passer dans les années 60 avec des anciens francs et costumes rétros, mais peut-être jouée à une autre époque, moyennant quelques changements.

 

Personnages :

Aristide Rigodon huissier de son état, affairé et un peu pingre. (230 répliques.)  

Colette, sa femme, mondaine, exubérante. (165)

Toinette ou Toine la grand-mère, sourde, surtout quand elle ne veut pas entendre. (145)

Charlotte, la fille de 35 ans, timide, un peu naïve. ( 110)

Huguette la cadette, 26 ans, sans complexe. ( 46)

Marc, prétendant, négociant en pouliches et jockey, assez futé et flatteur. ( 34)

Popaul, prétendant commis, naïf et malin. Il bute sur les P. ( 50)

Le Comte Pierre-André de Mortetruy, prétendant, miteux mais joue la grande classe. (104)

Docteur Puton, amoureux de Toinette. ( 42)

Madame Brunet, entremetteuse, cancanière, habillée à l’as de pique. (59)

Aphrodite: rôle facultatif, peut être tenue par une actrice de la troupe.

Introduction facultative.

Aphrodite est vêtue d'une longue robe blanche, elle a un diadème ou un éclairage autour de ses cheveux relevés avec des étoiles brillantes ou un éclairage. Elle peut être accompagnée d'un bruit de tonnerre

Elle peut réapparaitre à la fin de la pièce.

 

Je suis Aphrodite la déesse de l'amour. Ce soir j'ai envoyé mon fils Cupidon avec son arc décocher 3 flèches d'argent pleines d'amour dans une famille où il y a 3 cœurs à prendre. J'espère qu'il ne va pas se tromper de cible, ce coquin. Mais une chose est certaine, cela va faire une belle pagaille chez les Rigodon, car comme on dit l'amour est aveugle.

Amour, régime et Cie, avec 11 acteurs, se déroule en 3 actes, avec une pose entre le 2e et le 3e acte.

Et maintenant place au spectacle. ( Ce texte peut être transformé ou supprimé.)

 

 

La scène commence dans le salon. Assez coquet mais criard, avec un fauteuil, un canapé, une table basse et un bar roulant.

Scène 1

 

Sur scène

Toinette somnole, un livre sur les genoux,l'irruption soudaine de Charlotte par la porte côté chambre la fait sursauter. Charlotte a mis une robe qui est apparemment trop étroite. Sa mère et sa grand-mère l’aident, à fermer sa robe.

 

CHARLOTTE – Quelle misère, cette robe a rétréci au lavage ou bien j’ai encore pris deux kilos!( Entrée de Colette côté cuisine. Elle se précipite pour aider sa fille.)

 

COLETTE – Avec le prix qu’elle a coûté, elle n’a pas intérêt à rétrécir.( Toinette s'est levé .)

 

TOINETTE – Il faudrait manger un peu moins ma fille, les sucreries, ce n’est pas bon pour la ligne. ( Charlotte se dirige vers Toinette.)

 

CHARLOTTE – Des sucreries, je n’en mange pas, ce serait plutôt ta cuisine, trop grasse et trop bonne ! ( Toinette fait la sourde.)

 

TOINETTE – Bonne ? Quelle bonne ? On n’a pas de bonne, je suis même obligée de faire à manger, parce que s’il fallait compter sur ma bru, on serait mort de faim depuis longtemps !

 

COLETTE (se penche vers Toinette)- Il faut brancher votre sonotone !

 

TOINETTE ( s’exécute) - Cet engin me rendra sourde !

 

COLETTE – Charlotte dit que votre cuisine est trop bonne et trop grasse surtout, c’est la cause de son problème de poids.

 

TOINETTE (indignée) – Je suis donc la coupable toute désignée pour vos excès de table, mais personne ne vous oblige à faire honneur à mes plats. Je vais vous dire, vous me fendez le cœur, j'ai le cœur fendu par vous. Désormais ce sera soupe aux légumes et yoghourts à zéro % de matière grasse, ( avant de sortir ) on verra combien de temps vous tiendrez.

 

Elle fait une sortie digne par la porte de la cuisine.

 

CHARLOTTE – Notre mémé se croit dans Pagnol, mais je crois qu'elle est vexée, vas lui expliquer que ce n’était qu’une plaisanterie, moi j’attends Papa il avait quelque chose à me dire.

 

COLETTE – Il aura sûrement besoin de ta voiture, je vais consoler ta grand-mère.

 

Elle sort pendant que Charlotte se coiffe devant un miroir, et chantonne, "je suis la plus belle devant ce miroir, je suis la plus belle et la plus gironde aussi", elle tire la langue côté public. Entrée d'Aristide.

 

ARISTIDE – Ah ! Ma petite Charlotte qui chantes, quelle classe!( Pirouette) écoutes-moi, j’ai un rendez-vous d’affaires avec monsieur Marc Dufauché. Tu t’arrangeras pour venir demander si nous n’avons besoin de rien. Tu verras c’est un bel homme, célibataire et riche !

 

CHARLOTTE - Tu l’as déjà vu ?

 

ARISTIDE - Non, non ! C’est mon ami le Docteur Puton qui me l’a dit, il connaît le père.

 

CHARLOTTE - Le père ! Ce n’est pas le fils.

 

ARISTIDE - Heureusement, le père n’est plus très frais ! 90 ans au bas mot, mais une fortune !

 

CHARLOTTE - Et le fils ?

 

ARISTIDE - Il doit avoir dans les 35, 45 ans.

 

CHARLOTTE – Mais c’est un vieillard, et moi je ne veux pas d’un vieillard !

 

ARISTIDE - Mais 45 ans c’est à peine la moitié de l’existence. Je retourne au bureau

 

 

 Il ouvre la porte et va pour sortir par la porte d'entrée et en même temps Colette la mère veut entrer. Ils se coincent dans la porte.

 

COLETTE – Mais laisses-moi rentrer à la fin, tu as encore grossi ma parole.

 

ARISTIDE – Grossi, j’ai grossi moi ? Je fais le même poids qu’hier, ni plus ni moins !

 

COLETTE – Et bien ! Moi, j’ai maigri ! 250 grammes, depuis lundi, enfin un régime efficace !

 

ARISTIDE – Efficace, tu dis cela à chaque fois, mais les effets ne durent jamais longtemps. Et hop tu changes de régime, et hop tu en achètes un autre, et hop tu dépenses un fric fou, et hop ! Résultat…Zéro complet sur toute la ligne, ta ligne !

 

COLETTE (hargneuse) – Et hop ! Et hop ! Ma ligne, qu’est-ce qu’elle a ma ligne ? Elle ne te plaît pas ? Tu peux regarder la tienne, on dirait Bibendum en plus gros !

 

ARISTIDE – Peut-être, mais moi je ne me plains pas, j’ai les formes mais aussi la forme et je vais te le prouver.

 

Il se dégage et va s’agenouiller pour faire des pompes, tout cela est assez ridicule, il en fait deux ou trois et se relève hors d’haleine. Colette le regarde et porte la main à sa tempe.

 

ARISTIDE -Tu es bien incapable d’en faire autant !

 

COLETTE – Mon pauvre ami, mais tu es hors d’haleine, tu ne vas pas nous faire un malaise, tiens assieds-toi ! ( Il s’assoit).

 

ARISTIDE – C’est bien pour te faire plaisir. ( Il s’éponge le front).

 

COLETTE - Vous parliez de chant quand je suis entrée. Que vas-tu nous chanter ma petite Charlotte ?

 

CHARLOTTE - Tu deviens sourde comme grand-mère, et arrête de m’appeler petite Charlotte, c’est largement dépassé avec mon envergure.

 

COLETTE - Mais, mais tu es toujours ma petite fille, et avec ta belle robe verte tu fais à peine 25 ans.

 

CHARLOTTE - Comme une pomme verte alors ! J’ai surtout l’air d’un bonbon géant échappé d’une bonbonnière. Demain, je commence le régime le plus strict, je vais perdre 25 kg en un mois.

 

COLETTE – Bonne idée! Tu peux faire le même régime que moi il est formidable, j’avais vu l’annonce chez ma coiffeuse. C’est un professeur Schlankenwitz qui l’a inventé, tu prends une pilule avant de manger, ton estomac rétrécit et tu ne manges plus que la moitié de ton assiette. C’est infaillible et mathématique.

 

ARISTIDE – Et le prix de ce régime infaillible doit être mathématiquement astronomique !

 

COLETTE – Les bonnes choses ont toujours un prix, mais il ne coûte que 750 francs la boîte.

 

ARISTIDE –750 francs ? La boîte de combien ?

 

COLETTE – Je ne sais pas, quelle importance, cinq, dix pilules, tu chicanes pour un rien !

 

ARISTIDE ( sort une machine à calculer de sa poche ) – Bien sûr pour un rien, et hop! Cinq pilules, 750 francs, une broutille, tu as perdu 250 grammes divisés par cinq, on est à 150 francs les cinquante grammes de gras. Il s’embête pas ton docteur Schlanken je ne sais plus quoi, ses clients maigrissent peut-être, mais une chose est sûre, son compte en banque engraisse à vue d’œil.

 

CHARLOTTE – Mais papa, toujours près de tes sous, tu ne les prendras pas avec. Maman, pour le régime, je marche avec toi, tu en as encore des pilules ?

 

COLETTE – Deux ou trois, je vais en recommander. Mais attention pas un mot à quiconque, même pas à Toinette, ( elle regarde Aristide) elle ne sait pas tenir sa langue, ta mère !

 

ARISTIDE ( la singeant)  – Ma mère! Mais pour une fois je suis d’accord avec toi, 750 francs de moins à sortir, ce n’est pas à négliger !

 

CHARLOTTE – Père ne voit que le côté financier des choses !

 

ARISTIDE – Que veux-tu ! Déformation professionnelle. Ce n’est pas tout ça, je dois préparer un dossier. Charlotte, ma pépète, explique les détails à ta mère ! Je m’éclipse.

(Il sort.)

 

 

Scène 2

 

COLETTE Quels détails ?

 

CHARLOTTE – Papa a rendez-vous avec un certain Marc Dufauché, et il veut me présenter d’une manière impromptue.

 

COLETTE – Dufauché… C’est les bonbons ?

 

CHARLOTTE - Je ne sais pas.

 

COLETTE - Si c’est les bonbons, ils sont aisés voire très riches, il faut donc te préparer, si tu mettais ta robe rose ?

 

CHARLOTTE-  Ah non ! Avec les bonbons ça serait complet. Je vais mettre la bleue avec le flot. Ah ! Et puis non ! J’aurais l’air d’une dragée.

 

COLETTE-  Oh ! Une dragée c’est mignon, mais il ne faut pas que tu es l’air trop habillé, il pourrait croire que tout est arrangé.

 

CHARLOTTE - Alors la verte avec les plis ?

 

COLETTE - C’est une bonne idée, vas te préparer. Je me prépare aussi.

 

CHARLOTTE - Mais ! Père n’a jamais dit que tu serais là aussi.

 

COLETTE - Comment ? Ma fille doit rencontrer son futur mari et je n’assisterais pas à l’événement ! Je vais en parler illico à ton père.

 

CHARLOTTE - Maman tu es ridicule! Tu t’emballes pour rien, ce n’est qu’un visiteur.

 

COLETTE - Et c’est tout ?

 

CHARLOTTE - Mais oui, c’est tout. Une simple visite. Je vais me préparer. (Elle sort.)

 

COLETTE - Une simple visite, mon œil, Aristide veut encore me doubler pour pouvoir me dire après : Tu as vu comment j’ai bouclé cette affaire. Mais sans moi ça ne va pas marcher.

 

Entrée de Toinette la grand-mère.

 

TOINETTE - Tu vas au marché ce matin ? ( Elle parle fort.)

 

COLETTE - Non, j’ai dit que sans moi ça ne marchera jamais.

 

TOINETTE - Ah ! Tu n’as pas envie de marcher ? Quand tu auras mon âge, tu verras ce sera pire.

 

COLETTE - Vous nous enterrerez tous. Mais, (elle se penche à son oreille) branchez votre sonotone !

 

TOINETTE - J’ai encore oublié cet engin, mais je vais avec toi !

 

COLETTE - Mais je ne vais nulle part, on attend une visite !

 

TOINETTE ( curieuse) - Une visite, c’est qui ? On ne me dit jamais rien.

 

COLETTE - C’est un jeune homme, Marc je crois, il vient pour affaires, mais Aristide veut lui présenter Charlotte, il y aura peut-être un déclic !

 

TOINETTE - Il n’y a aucun risque, , ils se sont tous carapatés.

 

COLETTE - Carapatés, ma belle-mère se met à l'argot. Mais moi je ne désespère pas qu’on lui trouve chaussure à son pied, elle a l’âge de se marier.

 

TOINETTE - Avec une bonne dot, ça devrait pouvoir s’arranger !

 

COLETTE - Tu l’as la dot toi ?

 

TOINETTE (porte la main à son oreille.)- Encore détraqué cet engin, décidément ces trucs modernes ne sont pas fiables.

 

COLETTE  (riant)- Surtout quand on ne veut pas entendre. J’ai à faire. (Elle sort.)

 

TOINETTE - Si mon fils n’était pas si radin, elle serait déjà mariée depuis longtemps, avec une bonne dot. Mais il tient ça de son père la radinerie. S’ils comptent sur moi, ils vont être déçus, et Charlotte mourra vieille fille. C’est qu’elle n’est plus jeunette, on dirait même qu’elle va rattraper sa mère, et je ne parle pas du poids elle profite la petite elle profite, ah ! ( Elle se pavane.) Elle ne me ressemble pas, ça va être coton pour lui trouver un mari. (On sonne) C’est peut-être le prétendant, je vais tout de suite le sonder pour connaître ses intentions, car si je ne m’occupe pas de cette affaire, elle ne trouvera jamais l’âme sœur. (Elle va ouvrir.)

 

 

Scène 3

 

POPAUL  ( voix off )- Bonjour madame, je viens pour voir monsieur Rigodon, Maître Rigodon, c’est bien ici ?

 

TOINETTE - Bonjour monsieur bien sûr, c’est ici, mais entrez donc !

 

POPAUL - Merci bien, mon père m’a dit, tu verras, tu ne peux pas te tromper, c’est la plus grande maison dans la rue, on dirait une église, vingt dieux ! Une belle église.

 

TOINETTE - C’est votre père qui dit ça ? Et vous venez pourquoi ?      

 

POPAUL - C’est rapport à monsieur Rigodon qui cherche un commis, je suis l’homme qu’il lui faut, c’est mon père qui le dit.

 

TOINETTE - Eh bien ! Jeune homme, vous écoutez votre père, c’est plutôt rare aujourd’hui, et c’est très bien !

 

POPAUL - Je l’écoute surtout parce qu’il a les pépètes !

 

TOINETTE ( elle règle son sonotone)- Il a quoi votre père ?

 

POPAUL (articulant)- Les pépètes, le fluss, le pognon quoi !

 

TOINETTE - Ah oui ! Les pépètes, l’argent, vous avez au moins le mérite de la franchise, d’autres le pensent mais ne le disent pas !

 

POPAUL - La franchise, c’est mon dada, mais sans être indiscret, vous êtes la mère Rigodon ? Hein ! Madame Rigodon ?

 

TOINETTE  (en aparté) - Décidément, je ne dois pas faire mon âge, il me plaît ce petit. (Plus haut.) Vous faites erreur, je suis la grand-mère !

 

POPAUL (en aparté) - Il faut flatter les mémères. ( Haut) Et bien ! Vous faites jeunette pour une grand-mère. Vous placerez un mot pour moi à Rigodon, je suis le commis qu’il lui faut, discret, poli, efficace, l’employé idéal, c’est mon père qui le dit. Il m’a dit aussi, chez un huissier il faut être discret comme une tombe, alors là, moi je  suis muet comme une carpe !

 

TOINETTE - Muet comme une carpe, mais vous avez la langue bien pendue jeune homme, ce n’est pas un défaut, je vais voir si Rigodon peut vous recevoir.

 

POPAUL - Vous n’oublierez pas le petit mot en ma faveur, je suis clean comme on dit absolument clean !

 

TOINETTE - Clean ? C’est nouveau ça, je vais voir ce que je peux faire. ( Elle sort.)

 

POPAUL - Avec la grand-mère dans la manche, je crois que c’est dans la poche, je vais me caser ici, surtout que mon vieux m’a dit, il y a deux filles à marier, prends la plus vieille, la dot est plus élevée, les riches veulent d’abord se débarrasser des aînées, ils ont peur qu’elles leur restent sur les bras, j’ai pas trop compris, mais on verra bien. ( Entrée de Colette).

 

COLETTE - Bonjour monsieur, vous venez voir monsieur Rigodon ? Je vous en prie, prenez place, vous prendrez bien quelque chose ?

 

POPAUL : Avec plaisir, madame.

 

Elle lui sert un verre de cognac.

 

POPAUL (en aparté) - C’est peut-être la fille aînée soyons charmeur. (Haut) Merci beaucoup, j’ai vu tout à l’heure une charmante dame encore jeune, qui m’a dit être la grand-mère, j’en déduis que vous êtes sa petite-fille ?

 

COLETTE ( en aparté) - Il est charmant ce garçon, ( haut) j’aimerais bien être la petite-fille, mais je suis madame Rigodon.

 

POPAUL - Et bien si je peux me permettre, vous ne faites pas votre âge. (En aparté) Et allez, ça ne coûte rien.

 

COLETTE - Vous me flattez monsieur …. ?

 

POPAUL - Popaul Planqué, pour vous servir, comme je disais tout à l’heure à la grand-mère, je suis celui que maître Rigodon attend, loyal, sérieux, fidèle, le prétendant le plus sincère !

 

COLETTE ( abasourdi) - Le prétendant ?

 

POPAUL  ( lyrique) - Oui, je suis le meilleur candidat, l’homme idéal, celui qu’on attend avec impatience, ou qu’on n’attendait plus, un sauveur en somme, mon père dit toujours qu’il faut savoir se vendre !

 

COLETTE  ( en aparté ) - C'est un prétendant au rabais. (Tout haut ) Et bien, vous savez vous vendre, je ne doute pas que vous convaincrez monsieur Rigodon. Si vous voulez patienter deux minutes, mon mari liquide une affaire urgente, il sera tout de suite à vous.

 

POPAUL - Mais j’ai tout mon temps cet après-midi, vous savez les affaires sont plutôt calmes en ce moment, mon père m’a dit profites-en pour voir Rigodon.

 

COLETTE - Je vais l’avertir, soyez patient. ( En aparté) Celui-là, je le laisse à Rigodon.

 

POPAUL - Merci madame. ( Colette sort.) Décidément, je vais connaître toute la famille, la grand-mère, la mère, vingt dieux ! Il ne manque plus que la fille.

 

 Entrée de Charlotte, porte opposée.

 

CHARLOTTE (fait semblant d'être surprise) - Euh ! Bonjour monsieur, je ne savais pas qu’on avait une visite, vous venez voir mon père ?

 

POPAUL - Bonjour, mademoiselle, je viens voir Rigodon, Maître Rigodon, vous êtes donc sa fille ?

 

CHARLOTTE - C’est exact, la fille aînée.

 

POPAUL ( en aparté) - Elle a de l’envergure, si la dot est aussi grosse, soyons charmeur. (Haut) Si je peux me permettre, vous êtes charmante et bien jeunette pour être l’aînée, si vous avez une sœur elle doit être encore au biberon.

 

CHARLOTTE - Pas tout à fait. ( En aparté) Je crois que j’ai une touche. Il n’est pas terrible mais ne faisons pas la fine bouche.( Haut) Je peux vous resservir un verre ?

 

POPAUL - C’est pas de refus, ça fait passer le temps. J’espère que je vais plaire à votre père. Vous ne savez pas s’il y a d’autres candidats ?

 

CHARLOTTE ( étonnée) - D’autres candidats ?

 

POPAUL - Oui, des candidats pour la demande ?

 

CHARLOTTE - Et bien ! Il y en a eu , mais ils ne faisaient pas l’affaire.

 

POPAUL - Et pourquoi ?

 

CHARLOTTE - Incompatibilité d’humeur, ou trop timides pour se lancer peut-être !

 

POPAUL - Ils manquaient d’énergie, moi j’en ai à revendre, mon père me dit toujours, où prends-tu cette énergie ?

 

CHARLOTTE - Mais il faut d’autres qualités que l’énergie, de la patience, de la douceur, de la loyauté, et j’ai surtout mon mot à dire !

 

POPAUL - Alors là, ça change tout, vous pouvez parler pour moi à votre père, j’ai toutes les qualités requises, avec moi c’est du cousu main.

 

CHARLOTTE - Mais ! Mon père ne prendrait pas de décision dans mon dos, et moi j’apprécie la gentillesse, la douceur, la constance, les petits soins, sans oublier la tendresse, oui, la tendresse !

 

POPAUL ( surpris) - Ca alors! Je ne savais pas qu’il fallait avoir toutes ces qualités pour être commis d’huissier.

 

CHARLOTTE ( Charlotte a un hoquet. ) - Commis ?

 

POPAUL - Oui, je viens pour la place de commis, votre père a mis une annonce.

 

CHARLOTTE (désappointée) - Ah ! C’est pour la place de commis. Dans ce domaine je n’ai

aucune compétence. Excusez-moi, je vais avertir mon père.

 

Elle va pour sortir, Popaul la suit à la porte.

 

POPAUL - Vous placerez bien un mot pour moi, j’ai toutes les qualités requises, même la tendresse, j’en ai à revendre !

 

CHARLOTTE (en aparté) - Quel olibrius et commis en plus. ( Haut) Comptez sur moi.

( Elle sort.)

 

POPAUL - Vingt dieux ! C’est sûrement l’aînée des filles à marier. Quel volume ! On dirait une citrouille verte ! Si la dot est aussi grosse je suis partant. Elle a bien fait de me parler de la tendresse, je ne vois pas à quoi ça peut servir à un huissier, mais je vais agir en conséquence avec Rigodon.

Scène 4

 

Entrée précipitée de Rigodon, il a l’air très affairé, il se précipite sur Popaul, lui serre les mains, le fait se rasseoir.

 

ARISTIDE - Je m’excuse pour le retard. Une petite affaire d’expulsion. Le bonhomme ne voulait pas partir. Je lui ai demandé s’il ne voulait pas venir habiter chez moi, et il a eu le culot de dire oui. Quel toupet ! Je ne sais pas pourquoi les gens s’incrustent, même quand on les invite aimablement à partir.

 

POPAUL ( veut jouer classe) - Oui, Maître, il faut parfois faire preuve de tendresse envers les clients, et ça marche tout seul.

 

ARISTIDE - Avec de la tendresse ! Jeune homme ! Avec de la tendresse dans les affaires, on n’arrive à rien. Au fait comment va votre père ? Toujours en pleine forme ?

 

POPAUL ( en aparté)- C’est raté avec la tendresse. (Haut) Oui ! Très bien !

 

ARISTIDE - La dernière fois que je l’ai vu, il ne faisait pas plus de 70 ans.

 

POPAUL  (en aparté)- Il connaît mon père, soyons tendre. (Haut) Mon vieux se porte comme un charme, je l’adore, dommage qu’il soit radin.

 

ARISTIDE - Radin ? Eh oui! Les vieux savent qu’un sou est un sou !

 

POPAUL - Oui, il faut être gentil avec les vieux, et poli et discret.

 

ARISTIDE - J’admire votre père, faire ce qu’il fait et à son âge, c’est plutôt rare.

 

POPAUL  ( en aparté)- Jouer aux boules et à la belote, je ne savais pas que c’était extraordinaire. (Haut) Oui, j’ai hérité de toutes ses qualités, son énergie, son efficacité, et sa douceur qui sont toutes des qualités nécessaires à un bon commis.

 

ARISTIDE - Je préfère les commis travailleurs. Mais vous avez apporté la lettre ?

 

POPAUL - La lettre ? La voici.

 

ARISTIDE ( lisant)- Je vous recommande mon fils pour la place de commis. Il est courageux, efficace, discret…..Mais c’est quoi ? Vous n’êtes pas Marc Dufauché ?

 

POPAUL - Moi ? Pas du tout, Popaul Planqué et je viens pour la place de commis, vous avez mis une annonce ?

 

ARISTIDE - Une annonce ? Bien sûr ! Mais c’est pour demain. J’attendais quelqu’un d’autre, revenez donc demain, on étudiera votre candidature.

 

POPAUL - Alors, vous ne voulez pas de moi comme commis ? C’est dommage, je me sentais déjà un peu de la famille, après avoir fait la connaissance de votre charmante épouse, la grand-mère, et surtout votre fille aînée, douce, aimable, un vrai canon, qui m’a d’ailleurs dit qu’elle vous parlerait de moi.

 

ARISTIDE - Alors vous avez vu Charlotte ?

 

POPAUL - Ah ! Elle s’appelle Charlotte, je n’ai pas osé lui demander, on a des manières dans la famille, mon père m’a toujours dit sois poli et tu iras loin. Mais on peut dire qu’elle m’a tapé dans l’œil, votre fille.

 

ARISTIDE  (en aparté)- Tiens, tiens, tout n’est pas perdu, notre fille emballe. (Haut) Donc monsieur Placard, revenez demain, nous étudierons votre candidature avec soin.

 

POPAUL - Mon nom c’est Planqué. C’est vrai, j’ai une chance ?

 

ARISTIDE - J’ai dit que nous étudierons votre candidature. A demain donc 15h. Au revoir monsieur Placard.

 

POPAUL - C'est Planqué monsieur, au revoir et merci beaucoup.( Il sort accompagné par Aristide).

 

ARISTIDE - Notre Charlotte qui tape dans l’œil d’un homme c’est nouveau. Bon, ce n’est qu’un candidat pour la place de commis,mais c’est un début. Faute de grive on mangera peut-être du merle, dame, à presque quatre fois dix printemps, il faut se faire une raison.( Entrée de Charlotte.)

 

CHARLOTTE - Ah ! Papa, je te cherchais, tu avais un candidat pour la place de commis. Mais il est déjà parti ?

 

ARISTIDE - A l’instant, mais dis donc tu lui as tapé dans l’œil, je ne sais pas si c’est ta robe, mais il ne parlait que de toi.

 

CHARLOTTE - Ah ! L’olibrius, bafouilleur et commis en plus, je l’avais remarqué, mais ce n’est pas tout à fait mon genre.

 

ARISTIDE - C’est encourageant, et on ne sait jamais! Mais il faut absolument que je m’absente, encore une expulsion, et un huissier en plus !

 

CHARLOTTE - Oh ! Toi et tes expulsions, tu devrais pouvoir éviter cela !

 

ARISTIDE - Tes belles robes viennent de là, alors pas de chichi, tu en profites aussi ! Je me sauve ! Je t’emprunte ta voiture, la mienne est au garage.( Il sort côté cuisine.)

 

CHARLOTTE - Et moi qu’est-ce que je fais ? Je suis la boniche ici, mais ça va changer, je sens que ça va changer. Avec vingt kilos de moins, déjà que je viens d’emballer un commis, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin, allez ma vieille, le prochain c’est le bon.( Elle chante en se regardant dans le miroir: Ah ! Je ris de me voir si belle etc.… On sonne.) Si c’est un homme je m’en vais le séduire, déployer mes charmes, je vais le prendre dans mes filets, mais d’abord il faut qu’il soit célibataire.

 

Scène 5

 

Elle va ouvrir avec une démarche chaloupée. C’est le comte De Mortetruy, qui est habillé vieille France avec un frac, il a une valise en cuir usé et un sac de voyage, il veut jouer la classe, mais tout est plutôt râpé.

 

PIERRE-ANDRE - Madame, mes respects, voici ma carte, permettez-moi de me présenter , Pierre-André, Comte de Mortetruy.

 

CHARLOTTE ( minaudant) - Bonjour monsieur euh ! Monsieur le Comte, je suis la fille de monsieur Rigodon et encore jeune fille. ( Elle lui tend la main et le Comte lui fait un baisemain très appuyé.)

 

PIERRE-ANDRE – Je vous prie de m’excuser, j’aurais dû remarquer que vous étiez encore demoiselle.

 

CHARLOTTE - Ce n’est pas grave. Mon père a été obligé de s’absenter, mais vous pouvez l’attendre.

 

PIERRE-ANDRE - Il est très occupé Maître Rigodon, et très aimable. Suite à notre rencontre il m’a…Invité à passer quelques jours en sa demeure, et j’ai eu la faiblesse d’accepter.

 

CHARLOTTE ( plutôt étonnée)- Mon père vous a invité à la maison ? Vous êtes en relation d’affaires avec lui ?

 

PIERRE-ANDRE - En quelque sorte oui, je ne sais pas si j’ai bien fait.

 

CHARLOTTE - Vous avez très bien fait, je vais chercher ma mère, et on vous préparera une chambre.

 

PIERRE-ANDRE - Je suis confus de vous donner tout ce travail.

 

CHARLOTTE - Mais non, nous sommes contents d’accueillir les hôtes de mon père. Prenez place, je reviens tout de suite.( Elle sort).

 

PIERRE-ANDRE  (fait le tour du salon tout en parlant) - C’est arrangé avec un goût douteux, mais on respire une certaine aisance, c’est peut-être l’endroit idéal pour rebondir après mes revers de fortune. La fille de la maison , un beau minois, mais quelle envergure. Je crois que j’ai éveillé son intérêt, évidemment ajouter une particule à son nom, De Mortetruy contre une bonne dot, voilà une idée à étudier, quitte à me résoudre à une mésalliance. Son père quand il m’a expulsé, n’avait pas l’air sympathique, mais quand il m’a demandé si je voulais venir passer quelques jours chez lui, j’ai quand même été surpris, j’ai sauté sur l’occasion si l’on peut dire, sinon c’était la rue ou l’armée du salut.

 

Charlotte revient avec sa mère.

 

CHARLOTTE - Monsieur le Comte, je vous présente ma mère, madame Rigodon Colette.

 

PIERRE-ANDRE ( fait un baisemain cérémonial) - Madame, mes hommages, je m’excuse pour mon arrivée inopinée, monsieur Rigodon ne vous a pas prévenu ?

 

COLETTE - Mon mari est très tête en l’air, mais nous sommes très heureuses de vous accueillir dans notre modeste demeure. Vous devez être habitué à des lieux plus luxueux, monsieur le Comte de….

 

PIERRE-ANDRE - De Mortetruy, madame, un nom illustre, un de mes aïeux a combattu avec Louis XI lors des croisades à Jérusalem.

 

COLETTE - A Jérusalem ? Quelle notoriété ! Ce n’est pas trop dur à porter, un nom aussi célèbre ?

 

PIERRE-ANDRE - On s’y fait très bien, mais malheureusement, je n’ai pas encore pu le transmettre.

 

COLETTE - Vous voulez dire que vous n’avez pas d’enfant ?

 

PIERRE-ANDRE - Hélas non ! Je ne suis pas marié, je n’ai pas encore trouvé l’âme sœur.

 

Il jette un regard souriant à Charlotte, qui conquise le lui rend.

 

CHARLOTTE - Monsieur le Comte veut certainement se rafraîchir, je vais lui montrer sa chambre.

 

COLETTE - Bonne idée, je vous remercie d’avoir accepté l’invitation de mon mari, il va être très content, ce n’est pas tous les jours que nous avons une visite aussi prestigieuse.

 

PIERRE-ANDRE - Ne mettez pas les petits plats dans les grands pour moi, j’aime la simplicité, j’ai été élevé à la dure.

 

COLETTE - Il faut dire que les châteaux ne sont pas toujours très confortables.

 

CHARLOTTE - Que sais-tu des châteaux, maman ? Tu vas mettre notre visiteur mal à l’aise avec ces questions. Monsieur le Comte, si vous voulez bien me suivre, je prends vos bagages !

 

PIERRE-ANDRE - Il n’en est pas question, mademoiselle, de vous faire porter mes bagages.    

Charlotte se saisit de la valise, Pierre-André l’en empêche, cela fait un méli-mélo, et ils se retrouvent presque dans les bras l’un de l’autre. Aparté lumineux. Colette observe la scène.

 

COLETTE ( en aparté) - Notre Charlotte a fait une touche. D’ici à ce qu’elle se retrouve Comtesse, il n’y a qu’un pas. (Haut, et très classe) J’espère que vous apprécierez votre chambre, la fenêtre donne sur le parc.

 

PIERRE-ANDRE  (la valise à la main)- Ah ! Il y a un parc ?

 

COLETTE - Oh ! Très petit, c’est une maison de maître, Charlotte vous fera visiter si vous voulez.

 

PIERRE-ANDRE - Ce sera avec plaisir madame, à vous revoir Madame. ( Ils sortent.)

 

COLETTE - A tout à l’heure monsieur le Comte !

 

Colette effectue une danse sur place en chantant : Il va y avoir un beau mariage, chez les Rigodons, bis.

 

COLETTE - Alors là, je suis estomaqué, Rigodon invite un comte qui n’est pas marié, bel homme en plus, et Charlotte a l’air de lui plaire.

 

Scène 6

 

Entrée de Toinette, Colette l’attrape et lui fait faire le tour de la pièce en dansant.

 

TOINETTE ( se dégage) - Ma bru est devenue folle, et tu as réveillé mon arthrose. C’est ce visiteur qui te fait sauter de joie ? C’est qui, c’est qui ?

 

COLETTE - C’est qui, c’est qui, elle est curieuse belle-maman, en tout cas c’est une bonne nouvelle, Charlotte a peut-être trouvé chaussure à son pied.

 

TOINETTE - C’est un marchand de chaussure ?

 

COLETTE - Mais non ! ( Près de l’oreille de Toinette.) Branchez votre sonotone, c’est un comte, invité par Aristide, c’est un beau parti.

 

TOINETTE ( rebranche son appareil) - Un comte, ha! ha! Laisses-moi rire, il n’en avait pas l’air. Je suis peut-être sourde mais pas aveugle, son costume sortait du fripier, quant à sa valise il y a les mêmes en décharge, c’est un comte fripé si tu veux mon avis, et sans le sou assurément.

 

COLETTE ( aigre) - S’il n’avait pas le sou, votre fils ne l’aurait pas invité.

 

TOINETTE - C’est Aristide qui l’a invité ? C’est curieux  ! Il a sûrement une idée derrière la tête. Mais je te répète, si tu comptes sur ce comte pour abréger le célibat de notre Charlotte tu te mets le doigt dans l’œil.

 

 

COLETTE - En tout cas il est très poli, monsieur le comte, et Charlotte lui a tapé dans l’œil. Et un nom avec particule s’il vous plaît, monsieur le Comte de Mortetruy. J’ai bien choisi le prénom de ma fille, Charlotte de Mortetruy, ça fait classe, bien mieux que Rigodon.

 

TOINETTE - Je ne sais pas ce que tu as contre notre nom, mais Mortetruy ça fait un peu cochonnailles non ? Moi, j’aime bien Rigodon, nous avons eu un général dans la famille du temps de Napoléon, ce n’est pas rien !

 

COLETTE - Ah ! Comparé à Mortetruy, il avait un aïeul qui combattait à côté de Louis XI pendant les croisades à Jérusalem. Il a de la classe ! Monsieur le comte.

 

TOINETTE - De la classe peut-être, mais dès qu’un homme arrive, tu le vois marié avec Charlotte, tu te montes la tête, et tout à coup, tout s’écroule, le prétendant s’en va, Charlotte pleure, tu gémis, Aristide ricane, c’était pas le bon, et moi ! Moi je souffre.

 

COLETTE - Nous souffrons tous, mais cette fois-ci c’est différent, mon petit doigt me dit que c’est le bon. Un comte, tu te rends compte, avec un De devant, c’est mon rêve qui se réalise !

 

TOINETTE - Ton rêve ou celui de Charlotte ? A t’entendre, on pourrait croire que c’est toi qui te marie.

 

COLETTE - C’est vrai, je suis toute excitée pour Charlotte, elle mérite bien çà, elle a l’âge d’être une comtesse.

 

TOINETTE - Je trouve qu’ils sont partis depuis longtemps les tourtereaux ?

 

COLETTE - Charlotte lui fait visiter le parc.

 

TOINETTE – Oh la là ! notre verger est devenu un parc, depuis qu’on a un comte dans la maison, ma bru se prend pour une sang bleu !

 

COLETTE - Je fais tout ceci dans l’intérêt de Charlotte, je ne veux que son bonheur !

 

TOINETTE - J’espère que tout se passera bien. Je suis même prête à participer à la dot. Je dois d’abord m’assurer qu’avec ce comte Charlotte ne sera pas le dindon de la farce et nous avec. Bien sûr je ne peux pas aider beaucoup, avec ma modeste pension, et il faut penser à la cadette.

           

COLETTE - Huguette, a des copains à la pelle, et elle trouvera sans difficulté

 

TOINETTE - J’espère que ma participation ne servira pas à éponger les dettes du comte.

 

COLETTE - D’où tenez-vous que monsieur le comte de Mortetruy a des dettes ?

 

TOINETTE - Mon petit doigt. Ces gens-là, ne se mêlent à notre monde que quand ils n’ont plus le sou, quand ils sont aux abois, et mon intuition me dit que ce comte aboit, pardon, il est aux abois !

 

COLETTE - Rigodon aurait invité chez lui un homme aux abois ? Vous m'excusez mais je connais assez votre fils pour vous dire que ce n’est pas du tout dans ses habitudes.

 

TOINETTE – On verra bien.

 

Scène7

 

Coup de sonnette, c’est Léontine Brunet.

 

LEONTINE – Bonjour mes chères amies, je passais et comme je sais que vous attendez toujours ma visite avec beaucoup de plaisir, je n’ai pas résisté à l’envie de…

 

TOINETTE – Oh ! Mais aujourd’hui tu tombes plutôt mal !

 

LEONTINE – Tant pis ( Elle leur fait la bise) j’ai pourtant une information importante qui peut vous intéresser.

 

TOINETTE - Un cancan ?

 

LEONTINE – Un cancan ? Tu me connais, jamais de ragots, que des nouvelles fraîches.

 

COLETTE – Alors cette information ?

 

LEONTINE – Voilà, il s’agit d’un homme qui pourrait intéresser Charlotte. Il a tout juste cinquante six ans, très bien mis, très propre, il était au chemin de fer.

 

COLETTE – Il n’était pas chef de gare ?

 

LEONTINE – Mais si, comment le sais-tu ?

 

COLETTE – Je devine parfois les choses. Il est célibataire ?

 

LEONTINE – Hélas non ! Mais sa femme l’a quitté pour un guitariste de passage.

 

TOINETTE – Il peut donc chanter, "il est cocu le chef de gare". C’est drôle non ? Bon, je n’insiste pas. Mais pourquoi ne tentes-tu pas ta chance toi-même ?

 

LEONTINE – Moi-même ? Pas question. Il est trop jeune pour moi. En nous voyant les gens diraient : Voilà un gentil monsieur, il promène sa maman.

 

TOINETTE – Tu es lucide Léontine. Il a quoi de spécial cet homme ? Un château, ou un nom à particule peut-être ?

 

LEONTINE – Il n’a rien de tout çà, il a un nom tout simple Dujarret.

 

TOINETTE – Ce n’est pas une particule, c’est un nom pour un boucher.

 

COLETTE – Toinette, tes blagues ne sont pas drôles, mais vois-tu Léontine, Charlotte ne voudra pas d’un vieillard.

 

LEONTINE – Cinquante six ans pour un homme c’est la force de l’âge.

 

TOINETTE – Tu n’as pas compris ? Un vieux Dujarret, sans château, sans particule ce n’est même pas la peine d’y penser.

 

LEONTINE – Je ne comprends rien du tout.

 

COLETTE ( coup d’œil furieux à Toine) – Ce n’est pas grave, les plaisanteries de Toine sont incompréhensibles, mais je dois vous laisser, j’ai des choses urgentes à régler. (Elle sort).

 

TOINETTE – Maintenant que nous sommes seules, tu peux me dire la vérité, au sujet de Dujarret, ne me dis pas que tu n’as pas essayé d'y goûter, au jarret, de le séduire, je te connais trop !

 

LEONTINE – Tu ne diras rien à personne ? Je l’ai même invité chez moi sous un prétexte futile et je lui ai sorti le grand jeu, la totale quoi, lumières tamisées, robe du soir, champagne, ce fut un bide total, car il m’a annoncé qu’il en aimait une autre, inaccessible pour lui. Il ne connaissait que son prénom, Charlotte. J’en ai été toute retournée.

 

TOINETTE – Mais il n’y a pas que notre Charlotte sur terre.

 

LEONTINE - Elle prenait le train pour ses études non ? Et il sait que c’est la fille d’un huissier. Bref, pour elle ce serait du cousu-main.

 

TOINETTE – Mais...En ce moment elle a d' autres fers au feu. C’est du fer dont on fait des grilles de château.

 

LEONTINE – Des grilles de château ? Je ne comprends rien. Mais elle a trouvé quelqu’un ? Dis-moi qui ? C’est passionnant ! Je veux savoir.

 

TOINETTE – Rien du tout, je ne dirais rien, car je ne sais rien !

 

LEONTINE – Tu n’es pas gentille, moi je te dis tout et toi, tu ne me dis rien, nous sommes quand même amies, nous n’avons pas de secrets l’une pour l’autre, alors !

 

TOINETTE – Je ne peux rien te dire car il n’y a rien, voilà ! Mais dis-moi Léontine, je te regarde et je me demande si tu n’as pas forci, tu devrais faire attention !

 

LEONTINE – Forci ! Bien sûr que j’ai forci ! Deux kilos après le refus du chef de gare, je me suis empiffré quatre boites de chocolats, des bonbons, mais maintenant je suis écœurée, rien que des tisanes et des yoghourts.

 

TOINETTE – Ma pauvre Léontine, tu es donc dégoûtée du jarret, elle est bonne celle-là, mais tu sais bien qu’à ton âge on doit faire le deuil de ces choses-là.

 

LEONTINE – A mon âge ? C’est aussi le tien, à trois mois près tu sembles l’oublier !

 

TOINETTE –Je plaisantais. Au fait tu pourrais me présenter ce Dujarret à l’occasion.

 

LEONTINE – Tu plaisantes ? Trop vieille ma chère !

 

TOINETTE –Mais ce n’est pas pour moi, je voudrais le jauger, si éventuellement Charlotte pourrait être intéressée.

 

LEONTINE – Pour Charlotte ? Tu en es certaine ? Au fait tu dois encore me dire si elle a trouvé un parti.

 

TOINETTE – Elle n’a rien trouvé, et je ne sais rien !

 

LEONTINE ( regarde sa montre) – Tu ne veux rien me dire, j’ai compris, tu ne me fais pas confiance, adieu ! ( Elle sort en claquant la porte).

 

TOINETTE ( pour elle-même) –Quelle soupe au lait ! Elle aurait tôt fait de propager la nouvelle dans tout le quartier. (Colette revient par la cuisine).

 

COLETTE – Elle est partie notre commère ?

 

TOINETTE – Un peu dépitée, notre Léontine, je ne lui ai rien dit, au sujet du comte. Mais ce chef de gare, on peut le garder sous le bras.

 

COLETTE – Un chef de gare ce n’est pas un parti pour Charlotte, elle mérite un avenir beaucoup plus , beaucoup plus…

 

TOINETTE ( perfide) – classe, avec un comte à particule !

 

COLETTE – Pourquoi pas ? Avouez que ce serait plus excitant.

 

Scène 8

 

Entrée d’Huguette, la cadette en tenue de cavalière, décontractée. Elle s’affale sur le divan.

 

TOINETTE - Tu as l'air fatiguée Huguette, tu fais trop de cheval.

 

HUGUETTE - Au contraire je n'en fais pas assez. Mais ton fils qui est aussi accessoirement mon père, m'a de nouveau fait la morale, à propos de mes relations.

 

COLETTE - Tes copains?

 

HUGUETTE - Bien sur, pas mes copines . Il trouve qu'ils ont les cheveux bien trop longs.

 

COLETTE - Il faut dire que le dernier avec sa tresse blonde!

 

HUGUETTE - Tu ne vas pas t'y mettre aussi? Le prochain aura la tête rasé.

 

TOINETTE - Je ne sais pas si Taras Boulba ou Yul Brunner lui plairont plus.

 

HUGUETTE - C'est pénible, j'ai envie de me tirer ailleurs. Bon parlons d'autre chose, j’ai croisé Léontine dans l’escalier, elle faisait une tronche. Que lui avez vous fait ? Il y a eu un décès, ou peut-être quelque chose que je devrais savoir ?

 

COLETTE - C’était une conversation de grandes personnes.

 

HUGUETTE - Oui, et moi je suis encore une gamine, vous savez quoi, j'en ai marre d'être prise pour une gamine, à 28 ans je n’ai pas droit aux secrets des grandes personnes, et ça me gonfle, ça me gonfle!

 

TOINETTE - Ne t'énerves pas ma chérie, on va te le dire.

 

HUGUETTE - C'est vrai? Et bien c'est pas trop tôt. C'est quoi la nouvelle?

 

COLETTE - Nous avons de la visite aujourd’hui, un comte, il a été invité par ton père.

 

HUGUETTE ( surprise ) - Un comte invité par père, j'y crois pas, il est vieux et riche sans doute !

 

TOINETTE - A vue de nez il a 50 ans, pour la richesse on n’a rien remarqué, ou bien il le cache très bien.

 

COLETTE - Ce que ta grand-mère ne te dit pas c’est qu’il a une particule. Monsieur le comte de Mortetruy, et ça vaut une fortune !

 

HUGUETTE - Voilà une bonne occase pour Charlotte, elle qui cherche à tout prix à se caser, elle va pouvoir l'embobiner, ce comte à particules ! Mais 50 balais ! Très peu pour moi.

 

COLETTE - Pour le moment, il est notre invité, et je prierais tout le monde d’être aimable avec lui.

 

HUGUETTE - Nous serons aimables, n’est-ce pas Mémé ? Mais alors ce soir on va dîner aux chandelles, c’est vrai il faut fêter cela dignement, on va se goinfrer, champagne, caviar, rien ne doit être trop beau pour monsieur le comte de Truiecrevé.

 

COLETTE ( outré) - Mais qu’est-ce que tu racontes, c’est Mortetruy, ne t’avises pas de sortir ce genre de plaisanterie en présence de monsieur le comte !

 

HUGUETTE - Oh, la, la ! Si on ne peut plus plaisanter ! Bon je vais mettre d'autres fringues, je crois que ma tenue n’est pas présentable pour un duc !

 

COLETTE - C’est un comte, et je compte sur toi pour ne pas faire d’impair !

 

HUGUETTE - Mais tu me connais Maman, je sais me tenir quand même ! Au fait, si un certain Marc arrive, tu m’appelles tout de suite.

 

COLETTE - C’est qui ce Marc ?

 

TOINETTE - Celui avec la boule à zéro?

 

HUGUETTE - Vous savez quoi? Vous êtes nuls. C'est un copain qui aime les chevaux comme moi.( Elle sort.)

 

COLETTE - Elle en a treize à la douzaine des copains, j’espère que ce garçon est sérieux !

 

TOINETTE - Elle a la tête près du bonnet, mais c'est une brave fille, elle pourrait se marier tous les jours.

 

COLETTE - D'abord les études et c'est elle qui le dit. Oh! J’ai entendu une voiture, c’est Aristide qui revient. On va préparer l’apéritif pour la réception en l’honneur de notre invité.

 

TOINETTE - A ta place j’attendrai de lui en parler, on ne sait jamais, ce comte n’est peut-être pas le bon !

 

COLETTE - Rigodon l’a invité, Rigodon doit le recevoir. C’est l’occasion unique de caser Charlotte, alors dépêchons, il passe toujours à son bureau avant de monter.               

 TOINETTE - Moi je n’ai rien entendu, je ne me mouille pas dans cette affaire, je veux rester clean. 

COLETTE - Clean ? Voilà que vous parlez anglais maintenant, de toute façon, je prends tout sur moi, quand l’avenir de Charlotte est en jeu, ( en sortant) je suis prête à sortir mes griffes pour assurer l’avenir de mon enfant. (35 mn)

 

 TOINETTE -Il Il va y avoir de l’animation, ( au public) Finalement , j’ai hâte de voir çà.

 

Vous voulez connaître la fin ? Un émail à mon adresse et je vous envoie la pièce entière.

rene.nommer1@aliceadsl.fr