RENE NOMMER

 

AMOUR, REGIME ET CIE

Un Comte à bon compte

 

 

Auteur : René NOMMER

Site web : www.theatrarire.fr

Septembre 2019

Pièce en 3 actes*

Durée :110 minutes

Cinq hommes

Six femmes

Décor unique et contemporain

 Existe en version 5H/5F 

 

 

 

SCENARIO :

Colette et Aristide Rigodon ont un grand souci. Leur fille aînée n'est toujours mariée alors qu'elle va sur ses 35 ans. Tous les prétendants se sont enfuis bien qu’elle soit mignonne, mais un peu rondelette. Leur fuite est peut-être aussi liée à la profession du père qui est huissier. De nouveaux prétendants se présentent, Popaul qui vient pour la place de commis, mais aimerait bien se caser, Marc qui vient pour la cadette qui est insouciante et a des amis en pagaille. L’arrivée de Pierre-André de Mortetruy, Comte de son état, expulsé par Aristide, mais invité ironiquement par ce dernier à venir séjourner chez lui, va déclencher une foule d’événements. C’est l’occasion pour Colette d’échafauder le plus beau des plans pour que sa fille tombe dans les bras du comte et devienne comtesse avec particule s’il vous plaît. L’activité fébrile déployée par Aristide pour se débarrasser de ce comte et ensuite pour le retenir à tout prix est le prétexte d’incroyables situations, que les autres protagonistes, la Grand-mère Toinette, Léontine la cancanière, le docteur Puton, la sous-préfète Mme Renard contribueront à animer.

Suggestion : Pour donner de la consistance aux personnages, le père peut avoir un ventre et postérieur proéminent qu’il porte avec aisance. Charlotte peut simuler un embonpoint qu'elle perdra au 3e acte

 

 

Personnages :

Aristide Rigodon huissier de son état, affairé et un peu pingre. (236 répliques.)

Colette, sa femme, mondaine, exubérante. (167)

Toinette la grand-mère, sourde, surtout quand elle ne veut pas entendre. (147)

Charlotte, la fille de 35 ans, timide, un peu naïve. ( 110)

Huguette la cadette, 22 ans, sans complexe. ( 33)

Marc, prétendant, disc-jockey, assez futé et flatteur. ( 32)

Popaul, prétendant commis, naïf et malin. Il bute sur les P. ( 50)

Le Comte Pierre-André de Mortetruy, prétendant, miteux mais joue la grande classe. (104)

Docteur Puton, amoureux de Toinette. ( 42)

Madame Renard la Sous-Préfète, un peu snob mais sympathique. (35)

Madame  Brunet, entremetteuse, cancanière, habillée à l’as de pique. (59)

La scène commence dans le salon. Assez coquet mais criard, avec un fauteuil, un canapé, une table basse et un bar roulant.

 

 

Sur scène Charlotte, Colette et Toinette. Charlotte a mis une robe qui est apparemment trop petite. Sa mère et sa grand-mère l’aident, une la coiffe  et l’autre essaye de lui fermer la robe.

 

CHARLOTTE – Quelle misère, cette robe a rétréci au lavage ou bien j’ai encore pris deux kilos.

 

COLETTE   Avec le prix qu’elle a coûté, elle n’a pas intérêt à rétrécir.

 

TOINETTE – Il faudrait manger un peu moins ma fille, les sucreries, ce n’est pas bon pour la ligne.

 

CHARLOTTE – Des sucreries, je n’en mange pas, ce serait plutôt ta cuisine, trop grasse et trop bonne !

 

TOINETTE – Bonne ? Quelle bonne ? On n’a pas de bonne, je suis même obligée de faire à manger, parce que s’il fallait compter sur ma bru, on serait mort de faim depuis longtemps !

 

COLETTE (se penche vers Toinette)- Il faut brancher ton sonotone !

 

TOINETTE ( s’exécute)  - Cet engin me rendra sourde !

 

COLETTE   Charlotte dit que ta cuisine est trop bonne et trop grasse surtout, c’est la cause de nos problèmes de poids.

 

TOINETTE – Je suis donc  la coupable toute désignée pour vos excès de table, mais personne ne vous oblige à faire honneur à mes plats. Je vais vous dire, vous me fendez le cœur, désormais ce sera soupe aux légumes et yoghourts à zéro % de matière grasse, on  verra combien de temps vous tiendrez. ( Elle fait une sortie digne par la porte de la cuisine.)

 

CHARLOTTE – Je crois que grand-mère est vexée, vas-lui expliquer que ce n’était qu’une plaisanterie, moi j’attends Papa il avait quelque chose à me dire.

 

COLETTE   Il aura sûrement besoin de ta voiture, je vais consoler Toinette. (Elle sort  pendant que Charlotte se coiffe devant un miroir, et chantonne, je suis la plus belle devant ce miroir, je suis la plus belle  et la plus gironde aussi, elle se tire la langue. Entrée de Rigodon.)

 

ARISTIDE – Ah ! Charlotte ! Ma petite Charlotte tu chantes, tu es bien lunée, écoutes-moi, j’ai un rendez-vous d’affaires avec monsieur Marc Dufauché. Tu t’arrangeras pour venir demander si nous n’avons besoin de rien en restant très simple, très naturelle. Tu verras c’est un bel homme, célibataire et riche !

 

CHARLOTTE - Tu l’as déjà vu ?

 

ARISTIDE - Non, non ! C’est mon ami le Docteur Puton qui me l’a dit, il connaît le père.

 

CHARLOTTE - Le père ! Ce n’est pas le fils.

 

ARISTIDE - Heureusement, le père n’est plus très frais ! 90 ans au bas mot, mais une fortune !

 

CHARLOTTE - Et le fils ?

 

ARISTIDE - Il doit avoir dans les 45, 50 ans.

 

CHARLOTTE – Mais c’est un vieillard, et moi je ne veux pas d’un vieillard !

 

ARISTIDE - Mais 50 ans c’est à peine la moitié de l’existence. De toute façon s’il ne te plaît pas, on en trouvera un autre.

 

CHARLOTTE –J’espère que Huguette ne viendra pas ramener son grain de sel, elle gâche tous mes effets. Il faut toujours qu’elle se mette en avant.

 

ARISTIDE- Elle est au tennis, tu as le champ libre. Je retourne au bureau. ( Il ouvre la porte et va pour sortir et en même temps Colette la mère veut entrer. Ils se coincent dans la porte.)

 

COLETTE – Mais laisses-moi rentrer à la fin, tu as encore grossi ma parole.

 

ARISTIDE – Grossi, j’ai grossi moi ? Je fais le même poids qu’hier, ni plus ni moins !

 

COLETTE – Et bien ! Moi, j’ai maigri ! 250 grammes, depuis lundi, enfin un régime efficace !

 

ARISTIDE – Efficace, tu dis cela à chaque fois, mais les effets ne durent jamais longtemps. Et hop tu changes de régime, et hop tu en achètes un autre, et hop tu dépenses un fric fou, et hop ! Résultat…Zéro complet sur toute la ligne, ta ligne !

 

COLETTE – Et hop ! Et hop ! Ma ligne, qu’est-ce qu’elle a ma ligne ? Elle ne te plaît pas ? Tu peux regarder la tienne, on dirait Bibendum en plus gros !

 

ARISTIDE – Peut-être, mais moi je ne me plains pas, j’ai les formes mais aussi  la forme et je vais te le prouver. ( Il se dégage et va s’agenouiller  pour faire des pompes, tout cela est assez ridicule, il en fait deux ou trois et se relève hors d’haleine) Tu es bien incapable d’en faire autant !

 

COLETTE – Mon pauvre ami, mais tu es hors d’haleine, tu ne vas pas nous faire un malaise, tiens assieds-toi ! ( Il s’assoit).

 

ARISTIDE – C’est bien pour te faire plaisir. ( Il s’éponge le front).

 

COLETTE - Vous parliez de chant quand je suis entrée. Quel chant vas-tu nous chanter ma petite Charlotte ?

 

CHARLOTTE - Tu deviens sourde comme grand-mère, et arrête de m’appeler petite Charlotte, c’est largement dépassé avec mon envergure.

 

COLETTE - Mais, mais tu es toujours ma petite fille, et avec ta belle robe verte tu fais à peine 25 ans.

 

CHARLOTTE - Comme une pomme verte alors ! J’ai surtout l’air d’un bonbon géant échappé d’une bonbonnière, demain, je commence le régime le plus strict, je vais perdre 25 kg en un mois.

 

COLETTE – Bonne idée, tu peux faire le même régime que moi il est formidable, j’avais vu l’annonce chez ma coiffeuse.

C’est un professeur Schlankenwitz qui l’a inventé, tu prends une pilule avant de manger, ton estomac rétrécit et tu ne manges plus que la moitié de ton assiette. C’est infaillible et mathématique.

 

ARISTIDE – Et le prix de ce régime infaillible doit être mathématiquement astronomique !

 

COLETTE –  Les bonnes choses ont toujours un prix, mais il ne coûte que cent euros la boîte.

 

ARISTIDE –Cent ? La boîte de combien ?

 

COLETTE   Je ne sais pas, quelle importance, cinq, dix pilules, tu chicanes pour un rien !

 

ARISTIDE   Bien sûr pour un rien, et hop! Cinq pilules, cent euros, une broutille, tu as perdu 250 grammes divisés par cinq, on est à vingt euros les cinquante grammes de gras. Il s’embête pas ton docteur Schlanken  je ne sais plus quoi, ses clients maigrissent peut-être, mais une chose est sûre, son compte en banque engraisse à vue d’œil.

 

CHARLOTTE – Mais Papa, toujours près de tes sous, tu ne les prendras pas avec. Maman, pour le régime, je marche avec toi, tu en as encore des pilules ?

 

COLETTE   Je les commande par Internet, elles seront là dans trois jours. Mais attention pas un mot à quiconque, même pas à Toinette, ( elle regarde Aristide) elle ne sait pas tenir sa langue, ta mère !

 

ARISTIDE   Pour une fois je suis d’accord avec toi, cent euros de moins à sortir, ce n’est pas à négliger !

 

CHARLOTTE – Père ne voit que le côté financier des choses !

 

ARISTIDE – Que veux-tu ! Déformation professionnelle. Ce n’est pas tout ça, je dois préparer un dossier. Charlotte, ma pépette, explique les détails à ta mère ! Je m’éclipse. (Il sort.)

 

COLETTE  Quels détails ?

 

CHARLOTTE – Papa a rendez-vous avec un certain Marc Dufauché, et il veut me présenter d’une manière impromptue.

 

 COLETTE – Dufauché… C’est les bonbons ?

 

CHARLOTTE - Je ne sais pas.

 

COLETTE - Si c’est les bonbons, ils sont aisés voire très riches, il faut donc te préparer, si tu mettais ta robe rose ?

 

CHARLOTTE-  Ah non ! Avec les bonbons ça serait complet. Je vais mettre la bleue avec le flot.

Ah ! Et puis non ! J’aurais l’air d’une dragée.

 

COLETTE-  Oh ! Une dragée c’est mignon, mais il ne faut pas que tu es l’air trop habillé, il pourrait croire que tout est arrangé.

 

CHARLOTTE - Alors la verte avec les plis ?

 

COLETTE - C’est une bonne idée, vas te préparer. Je me prépare aussi.

 

CHARLOTTE - Mais ! Père n’a jamais dit que tu serais là aussi.

 

COLETTE - Comment ? Ma fille doit rencontrer son  futur mari et je n’assisterais pas à l’événement ! Je vais en parler illico à ton père.

 

CHARLOTTE - Mais tu t’emballes  pour rien, ce n’est qu’un visiteur, et je dois leur demander innocemment s’ils n’ont besoin de rien.

 

COLETTE - Et c’est tout ?

 

CHARLOTTE - Mais oui, c’est tout. Une simple visite. Je vais me préparer. (Elle sort.)

 

COLETTE - Une simple visite, mon œil, Aristide veut encore me doubler pour pouvoir me dire après : Tu as vu comment j’ai bouclé cette affaire. Mais sans moi ça ne marchera pas. (Entrée de Toinette la grand-mère.)

 

TOINETTE - Tu vas au marché ce matin ? ( Elle parle fort.)

 

COLETTE - Non, j’ai dit que sans moi ça ne marchera jamais.

 

TOINETTE -  Ah ! Tu n’as pas envie de marcher ? Quand tu auras mon âge, tu verras ce sera pire.

 

COLETTE - Tu nous enterreras tous. Mais, (elle se penche à son oreille) branche ton sonotone !

 

TOINETTE - J’ai encore oublié cet engin, mais je vais avec toi !

 

COLETTE - Mais je ne vais nulle part, on attend une visite !

 

TOINETTE - Une visite, c’est qui ? On ne me dit jamais rien.

 

COLETTE - C’est un jeune homme, Marc je crois, il vient pour affaires, mais Aristide veut lui présenter Charlotte, il y aura peut-être un déclic !

 

TOINETTE - Il n’y a aucun risque, c’est au moins le 5e, ils se sont tous sauvés.

 

COLETTE - Je ne désespère pas qu’on lui trouve chaussure à son pied, elle a l’âge de se marier.

 

TOINETTE - Avec une bonne dot, ça devrait pouvoir s’arranger !

 

COLETTE - Tu l’as la dot toi ?

 

TOINETTE (porte la main à son oreille.)- Encore détraqué cet engin, décidément ces trucs modernes ne sont pas fiables.

 

COLETTE  (riant)- Surtout quand on ne veut pas entendre. J’ai à faire. (Elle sort.)

 

TOINETTE - Si mon fils n’était pas si radin, elle serait déjà mariée depuis longtemps, avec une bonne dot. Mais il tient ça de son père la radinerie. S’ils comptent sur moi, ils vont être déçus, et Charlotte mourra vieille fille. C’est qu’elle n’est plus jeunette, on dirait même qu’elle va rattraper sa mère, surtout en poids, ah ! Elle ne me ressemble pas, ça va être coton pour lui trouver un mari. (On sonne) C’est peut-être le prétendant, je vais tout de suite le sonder pour connaître ses intentions, car si je ne m’occupe pas de cette affaire, elle ne trouvera jamais l’âme sœur. (Elle va ouvrir.)

 

POPAUL  ( voix off )- Bonjour madame, Je viens pour voir monsieur Rigodon, c’est bien ici ?

 

TOINETTE - Bonjour monsieur bien sûr, c’est ici, mais entrez donc !

 

POPAUL - Merci bien, mon père m’a dit, tu verras, tu ne peux pas te tromper, c’est la plus grande maison dans la rue, on dirait une église, vingt dieux ! Une belle église.

 

TOINETTE - C’est votre père qui dit ça ? Et vous venez pourquoi ?    

 

POPAUL - C’est rapport à monsieur Rigodon qui cherche un commis, je suis l’homme qu’il lui faut, c’est mon père qui le dit.

TOINETTE - Eh bien ! Jeune homme, vous écoutez votre père, c’est plutôt rare aujourd’hui, et c’est très bien !

 

POPAUL - Je l’écoute surtout parce qu’il a les pépètes !

 

TOINETTE ( elle règle son sonotone)-  Il a quoi votre père ?

 

POPAUL (articulant)- Les pépètes, le fluss, le pognon quoi !

 

TOINETTE - Ah oui ! Les pépètes, l’argent, vous avez au moins le mérite de la franchise, d’autres le pensent mais ne le disent pas !

 

POPAUL - La franchise, c’est mon dada, mais sans être indiscret, vous êtes la mère Rigodon ? Hein ! Madame Rigodon ?

 

TOINETTE  (en aparté) - Décidément, je ne dois pas faire mon âge, il me plaît ce petit. (Plus haut) Vous faites erreur, je suis la grand-mère !

 

POPAUL (en aparté) - Il faut flatter les mémères. ( Haut) Et bien ! Vous faites jeunette pour une grand-mère. Vous placerez un mot pour moi au Rigodon, je suis le commis qu’il lui faut, discret, poli, efficace, l’employé idéal, c’est mon père qui le dit. Il m’a dit aussi, chez un huissier il faut être discret comme une tombe, alors là, moi je  suis muet comme une carpe !

 

TOINETTE - Muet comme une carpe, mais vous avez la langue bien pendue jeune homme, ce n’est pas un défaut, je vais voir si Rigodon peut vous recevoir.

 

POPAUL - Vous n’oublierez pas le petit mot en ma faveur, je suis clean comme on dit absolument clean !

 

TOINETTE - Clean ? C’est nouveau ça, je vais voir ce que je peux faire. ( Elle sort.)

 

POPAUL - Avec la grand-mère dans la manche, je crois que c’est dans la poche, je vais me caser ici, surtout que mon vieux m’a dit, il y a deux filles à marier, prends la plus vieille, la dot est plus élevée, les riches veulent d’abord se débarrasser des aînées, ils ont peur qu’elles leur restent sur les bras, j’ai pas trop compris, mais on verra bien. ( Entrée de Colette).

 

COLETTE - Bonjour monsieur, vous venez voir monsieur Rigodon ? Je vous en prie, prenez place, vous prendrez bien quelque chose ?

 

POPAUL - Bonjour madame, je viens pour……

 

COLETTE - Ne m’expliquez rien, je ne comprends rien aux affaires, mettez-vous à l’aise, je vous sers un verre. ( Elle lui sert un verre de cognac.)

 

POPAUL (en aparté) - C’est peut-être la fille aînée soyons charmeur. (Haut) Merci beaucoup, j’ai vu tout à l’heure une charmante dame encore jeune, qui m’a dit être la grand-mère, j’en déduis que vous êtes sa  petite-fille ?

 

COLETTE ( en aparté) - Il est charmant ce garçon, ( haut) j’aimerais bien être la petite-fille, mais je suis madame Rigodon.

 

POPAUL - Et bien si je peux me permettre, vous ne faites pas votre âge. (En aparté) Et allez, ça ne coûte rien.

 

COLETTE - Vous me flattez monsieur …. ?

 

POPAUL - Popaul Planqué, pour vous servir, comme je disais tout à l’heure à la grand-mère, Je suis celui que monsieur Rigodon attend, loyal, sérieux, fidèle, le prétendant le plus sincère !

 

COLETTE ( abasourdi) - Le prétendant ?

 

POPAUL  ( lyrique) - Oui, je suis le meilleur candidat, l’homme idéal, celui qu’on attend avec impatience, ou qu’on n’attendait plus, un sauveur en somme, mon père dit toujours qu’il faut savoir se vendre !

 

COLETTE - Et bien, vous savez vous vendre, je ne doute pas que vous convaincrez monsieur Rigodon, mais ! Il faudra convaincre le reste de la famille, si vous voulez patienter deux minutes, mon mari liquide une affaire urgente, il sera tout de suite à vous.

 

POPAUL - Ah ! Vous travaillez en famille, mais j’ai tout mon temps cet après-midi, vous savez les affaires sont plutôt calmes en ce moment, mon père m’a dit profites-en pour voir Rigodon.

 

COLETTE - Je vais l’avertir, soyez patient. Qu’est-ce qu’il a encore inventé Rigodon.( Elle sort.)

 

POPAUL - Faites madame. ( Colette sort.) Décidément, je vais connaître toute la famille, la grand-mère, la mère, vingt dieux ! Elles ne font pas dans le poids plume, à quand la fille ? ( Entrée de Charlotte).

 

CHARLOTTE - Euh ! Bonjour monsieur, je ne savais pas qu’on avait une visite, vous venez voir mon père ?

 

POPAUL - Bonjour, mademoiselle, je viens voir Rigodon, vous êtes donc sa fille ?

 

CHARLOTTE - C’est exact, la fille aînée.

 

POPAUL ( en aparté) -  Elle a de l’envergure, si la dot est aussi grosse, soyons charmeur. (Haut) Si je peux me permettre, vous êtes charmante  et bien  jeunette pour être l’aînée, si vous avez une sœur elle doit être encore au biberon.

 

CHARLOTTE - Pas tout à fait. ( En aparté) Je crois que j’ai une touche. Il n’est pas terrible mais ne faisons pas la fine bouche.( Haut) Je peux vous resservir un verre ?

 

POPAUL - C’est pas de refus, ça fait passer le temps. J’espère que je vais plaire à votre père. Vous ne savez pas s’il y a d’autres candidats ?

 

CHARLOTTE ( étonnée) - D’autres candidats ?

 

POPAUL - Oui, des candidats pour la demande ?

 

CHARLOTTE - Et bien ! Il y en a eu , mais ils ne faisaient pas l’affaire.

 

POPAUL - Et pourquoi ?

 

CHARLOTTE - Incompatibilité d’humeur, ou trop timides pour se lancer peut-être !

 

POPAUL - Ils manquaient d’énergie, moi j’en ai à revendre, mon père me dit toujours, où prends-tu cette énergie ?

 

CHARLOTTE - Mais il faut d’autres qualités que l’énergie, de la patience, de la douceur, de la loyauté, et j’ai surtout  mon mot à dire !

 

POPAUL - Alors là, ça change tout, vous pouvez parler pour moi à votre père, j’ai toutes les qualités requises, avec moi c’est du cousu main.

 

CHARLOTTE - Mais ! Mon père ne prendrait pas de décision dans mon dos, et moi j’apprécie la gentillesse, la douceur, la constance, les petits soins, sans oublier la tendresse, oui, la tendresse !

 

POPAUL - Ca alors! Je ne savais pas qu’il fallait avoir toutes ces qualités pour être commis d’huissier.

 

CHARLOTTE- Commis ?

 

POPAUL - Oui, je viens pour la place de commis, votre père a mis une annonce.

 

CHARLOTTE (désappointée) - Ah ! C’est pour la place de commis. Dans ce domaine je n’ai aucune compétence.

 Excusez-moi, je vais avertir mon père. (Elle va pour sortir, Popaul la suit à la porte.)

 

POPAUL - Vous placerez bien un mot pour moi, j’ai toutes les qualités requises, même la tendresse, j’en ai  à revendre !

 

CHARLOTTE (en aparté) - Quel olibrius et commis en plus. ( Haut) Comptez sur moi. ( Elle sort.)

 

POPAUL - Vingt dieux ! C’est sûrement l’aînée des filles à marier. Quel volume ! On dirait une citrouille verte ! Si la dot est aussi grosse je suis partant. Elle a bien fait de me parler de la tendresse, je ne vois pas à quoi ça peut servir à un huissier, mais je vais agir en conséquence avec Rigodon. ( Entrée précipitée de Rigodon, il a l’air très affairé, il se précipite sur Popaul, lui serre les mains, le fait se rasseoir.)

 

ARISTIDE - Je m’excuse pour le retard. Une petite affaire d’expulsion. Le bonhomme ne voulait pas partir. Je lui ai demandé s’il ne voulait pas venir habiter chez moi, et il a eu le culot de dire oui. Quel toupet ! Je ne sais pas pourquoi les gens s’incrustent, même quand on les invite aimablement à partir.

 

POPAUL - Oui, il faut parfois faire preuve de tendresse envers les clients, et ça marche tout seul.

 

ARISTIDE - Avec de la tendresse ! Jeune homme ! Avec de la tendresse dans les affaires, on n’arrive à rien. Au fait comment va votre père ? Toujours en pleine forme ?

 

POPAUL ( en aparté)- C’est raté avec la tendresse. (Haut) Oui ! Très bien !

 

ARISTIDE - La dernière fois que je l’ai vu, il ne faisait pas plus de 70 ans.

 

POPAUL  (en aparté)-  Il connaît mon père, soyons tendre. (Haut) Mon vieux se porte comme un charme, je l’adore, dommage qu’il soit radin.

 

ARISTIDE - Radin ? Eh oui! Les vieux savent qu’un sou est un sou !

 

POPAUL - Oui, il faut être gentil avec les vieux, et poli et discret.

 

ARISTIDE - J’admire votre père, faire ce qu’il fait et à son âge, c’est plutôt rare.

 

POPAUL  ( en aparté)- Jouer aux boules et à la belote, je ne savais pas que c’était extraordinaire. (Haut) Oui, j’ai hérité de toutes ses qualités, son énergie, son efficacité, et sa douceur qui sont toutes des qualités nécessaires à un bon commis.

 

ARISTIDE - Je préfère les commis travailleurs. Mais vous avez apporté la lettre ?

 

POPAUL - La lettre ? La voici.

 

ARISTIDE ( lisant)- Je vous recommande mon fils pour la place de commis. Il est courageux, efficace, discret…..Mais c’est quoi ? Vous n’êtes pas  Marc Dufauché ?

 

POPAUL - Moi ? Pas du tout, Je suis Popaul  Planqué et je viens pour la place de commis, vous avez mis une annonce ?

 

ARISTIDE - Une annonce ? Bien sûr ! Mais c’est pour demain. J’attendais quelqu’un d’autre, revenez donc demain, on étudiera votre candidature.

 

POPAUL - Alors, vous ne voulez pas de moi comme commis ? C’est dommage, je me sentais déjà un peu de la famille, après avoir fait la connaissance de votre charmante épouse, la grand-mère, et surtout votre fille aînée, douce, aimable, un vrai canon, qui m’a d’ailleurs dit qu’elle vous parlerait de moi.

 

ARISTIDE - Alors vous avez  vu Charlotte ?

 

POPAUL - Ah ! Elle s’appelle Charlotte, je n’ai pas osé lui demander, on a des manières dans la famille, mon père m’a toujours dit sois poli et tu iras loin. Mais on peut dire qu’elle m’a tapé dans l’œil, votre fille.

 

ARISTIDE  (en aparté)-  Tiens, tiens, tout n’est pas perdu, notre fille emballe.(Haut) Donc monsieur Placard, revenez demain, nous étudierons votre candidature avec soin.

 

POPAUL - Mon nom c’est Planqué. C’est vrai, j’ai une chance ?

 

ARISTIDE - J’ai dit que nous étudierons votre candidature. A demain donc 15h. Au revoir monsieur.

 

POPAUL - Au revoir monsieur et merci beaucoup.( Il sort accompagné par Aristide).

 

ARISTIDE - Notre Charlotte qui tape dans l’œil d’un homme c’est nouveau. Bon, ce n’est qu’un candidat pour la place de commis, qui bafouille en plus mais c’est un début, et faute de grive on mangera peut-être du merle, dame, à presque quatre fois dix printemps, il faut se faire une raison.( Entrée de Charlotte.)

 

CHARLOTTE - Ah ! Papa, je te cherchais, tu avais un candidat pour la place de commis. Mais il est déjà parti ?

 

ARISTIDE - A l’instant, mais dis donc tu lui as tapé dans l’œil, je ne sais pas si c’est ta robe, mais il ne parlait que de toi.

 

CHARLOTTE - Ah ! L’olibrius, bafouilleur et commis en plus, je l’avais remarqué, mais ce n’est pas tout à fait mon genre.

 

ARISTIDE - C’est encourageant, et on ne sait jamais! Mais il faut absolument que je m’absente, encore une expulsion, et un huissier en plus !

 

CHARLOTTE - Oh ! Toi et tes expulsions, tu devrais pouvoir éviter cela !

 

ARISTIDE - Tes belles robes viennent de là, alors pas de chichi, tu en profites aussi ! Je me sauve ! Je t’emprunte ta voiture, la mienne est au garage.( Il sort côté cuisine.)

 

CHARLOTTE - Et moi qu’est-ce que je fais ? Je poireaute en attendant Godot, je suis la boniche ici, mais ça va changer, je sens que ça va changer. Avec vingt kilos de moins, déjà que je viens d’emballer un commis, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin, allez ma vieille, le prochain c’est le bon.( Elle chante en se regardant dans le miroir: Ah ! Je ris de me voir si belle etc.… On sonne.) Si c’est un homme je m’en vais le séduire, déployer mes charmes, je vais le prendre dans mes filets, mais d’abord il faut qu’il soit célibataire. (Elle va ouvrir avec une démarche chaloupée. C’est le comte De Mortetruy, qui est habillé vieille France avec un frac, il a une valise en cuir usé et un sac de voyage, il veut jouer la classe, mais tout est plutôt râpé.)

 

PIERRE-ANDRE - Madame, mes respects, voici ma carte, permettez-moi de me présenter , Pierre-André, Comte de Mortetruy.

 

CHARLOTTE ( minaudant) - Bonjour monsieur euh ! Monsieur le Comte, je suis la fille de monsieur Rigodon et encore jeune fille.

 

PIERRE-ANDRE – Je vous prie de m’excuser, j’aurais dû remarquer que vous étiez encore demoiselle.

 

CHARLOTTE - Ce n’est pas grave. Mon père a été obligé de s’absenter, mais vous pouvez l’attendre.

 

PIERRE-ANDRE - Il est très occupé monsieur Rigodon, et très aimable. Suite à notre rencontre il m’a…Invité à passer quelques jours en sa demeure, et j’ai eu la faiblesse d’accepter.

 

CHARLOTTE ( plutôt étonnée)- Mon père vous a invité à la maison ? Vous êtes en relation d’affaires avec lui ?

 

PIERRE-ANDRE - En quelque sorte oui, je ne sais pas si j’ai bien fait.

 

CHARLOTTE - Vous avez très bien fait, je vais chercher ma mère, et on vous préparera une chambre.

 

PIERRE-ANDRE - Je suis confus de vous donner tout ce travail.

 

CHARLOTTE - Mais non, nous sommes contents d’accueillir les hôtes de mon père. Prenez place, je reviens tout de suite.( Elle sort).

 

PIERRE-ANDRE  (fait le tour du salon) - C’est  arrangé avec un goût douteux, mais on  respire une certaine aisance, c’est peut-être l’endroit idéal pour rebondir après mes revers de fortune. La fille de la maison , un beau minois, mais quelle envergure. Je crois que j’ai éveillé son intérêt, évidemment ajouter une particule à son nom, De Mortetruy contre une bonne dot, voilà une  idée à étudier, quitte à me résoudre à une mésalliance. Son père quand il m’a expulsé, n’avait pas l’air sympathique, mais quand il m’a demandé si je voulais venir passer quelques jours chez lui, j’ai quand même été surpris, venant d’un huissier, je ne les savais pas altruistes à ce point, j’ai  sauté sur l’occasion si l’on peut dire, sinon c’était la rue ou l’armée du salut. (Charlotte revient avec sa mère.)

 

CHARLOTTE - Monsieur le Comte, je vous présente ma mère, madame Rigodon Colette.

 

PIERRE-ANDRE ( fait un baise-main cérémonial) - Madame, mes hommages, je m’excuse pour mon arrivée inopinée, monsieur Rigodon ne vous a pas prévenu ?

 

COLETTE - Mon mari est très tête en l’air, mais nous sommes très heureuses de vous accueillir dans notre modeste demeure. Vous devez être habitué à des lieux plus luxueux, monsieur le Comte de….

 

PIERRE-ANDRE - De Mortetruy, madame, un nom illustre, un de mes aïeux a combattu avec Louis XI lors des croisades à Jérusalem.

 

COLETTE - A Jérusalem ? Quelle notoriété ! Ce n’est pas trop dur à porter, un nom aussi célèbre ?

 

PIERRE-ANDRE - On s’y fait très bien, mais malheureusement, je n’ai pas encore pu le transmettre.

 

COLETTE - Vous voulez dire que vous n’avez pas d’enfant ?

 

PIERRE-ANDRE - Hélas non ! Je ne suis pas marié, je n’ai pas encore trouvé l’âme sœur, mais je ne désespère pas de la rencontrer.( Il jette un regard souriant à Charlotte, qui conquise le lui rend.)

 

CHARLOTTE - Monsieur le Comte veut certainement se rafraîchir, je vais lui montrer sa chambre.

 

COLETTE - Bonne idée, je vous remercie d’avoir accepté l’invitation de mon mari, il va être très content, ce n’est pas tous les jours que nous avons une visite aussi prestigieuse.

 

PIERRE-ANDRE - Ne mettez pas les petits plats dans les grands pour moi, j’aime la simplicité, j’ai été élevé à la dure.

 

COLETTE - Il faut dire que les châteaux ne sont pas toujours très confortables.

 

CHARLOTTE - Que sais-tu des châteaux, maman ? Tu vas mettre notre visiteur mal à l’aise avec ces questions. Monsieur le Comte, si vous voulez bien me suivre, je prends vos bagages !

 

PIERRE-ANDRE - Il n’en est pas question, mademoiselle, de vous faire porter mes bagages.    

 

 Charlotte se saisit de la valise, Pierre-André l’en empêche, cela fait un méli-mélo, et ils  se retrouvent presque dans les bras l’un de l’autre. Colette observe la scène.

 

COLETTE ( en aparté) - Notre Charlotte a fait une touche. D’ici à ce qu’elle se retrouve Comtesse, il n’y a qu’un pas. (Haut, et très classe) J’espère que vous apprécierez votre chambre, la fenêtre donne sur le parc.

 

PIERRE-ANDRE  (la valise à la main)- Ah ! Il y a un parc ?

 

COLETTE - Oh ! Très petit, c’est une maison de maître, rien à voir avec un château. Charlotte vous fera visiter si vous voulez.

 

PIERRE-ANDRE - Ce sera avec plaisir madame, à vous revoir , je vous suis mademoiselle Charlotte. ( Ils sortent.)

 

COLETTE - A tout à l’heure monsieur le Comte ! (Colette effectue une danse sur place en chantant : Il va y avoir un beau mariage, chez les Rigodons, bis ) Alors là, je suis estomaqué, Rigodon invite un comte qui n’est pas marié, bel homme en plus, et Charlotte a l’air de lui plaire, avec mon aide elle sera mariée à la fin de l’année. (Entrée de Toinette, Colette l’attrape et lui fait faire le tour de la pièce en dansant.)

 

TOINETTE  ( Se dégage) - Ma bru est devenue folle, et tu as réveillé mon arthrose. C’est ce visiteur qui te fait sauter de joie ? Je l’ai vu se diriger vers les chambres avec Charlotte, c’est qui, c’est qui ?

 

COLETTE - C’est qui, c’est qui, tu aimerais bien le savoir, elle est curieuse belle-maman, en tout cas c’est une bonne nouvelle, Charlotte a peut-être trouvé chaussure à son pied.

 

TOINETTE - C’est un marchand de chaussure ?

 

COLETTE - Mais non ! ( Près de l’oreille de Toinette.) Branches ton sonotone, c’est un comte qui est en visite, invité par Aristide, c’est un beau parti.

 

TOINETTE ( Rebranche son appareil) - Un comte, laisses-moi rire, il n’en avait pas l’air. Je suis peut-être sourde mais pas aveugle, son costume sortait du fripier, quant à sa valise il y a les mêmes en décharge, c’est un comte fripé si tu veux mon avis, et sans le sou assurément.

 

COLETTE ( aigre) - S’il n’avait pas le sou, ton fils ne l’aurait pas invité.

 

TOINETTE - C’est Aristide qui l’a invité ? C’est curieux  ! Il a sûrement une idée derrière la tête. Mais je te répète, si tu comptes sur ce comte pour abréger le célibat de notre Charlotte tu te mets le doigt dans l’œil.

 

COLETTE   Mais qu’est-ce que tu racontes !

 

TOINETTE – Ne deviendrais-tu pas sourde par hasard ? Tu as très bien compris ce que je voulais dire !

 

COLETTE - En tout cas il est très poli, monsieur le comte, et Charlotte lui a tapé dans l’œil, il la regardait comme Aristide me regardait….Il y a des années. Et un nom avec particule s’il vous plaît, monsieur le Comte et madame la Comtesse Charlotte de Mortetruy. J’ai bien choisi le prénom de ma fille, Charlotte de Mortetruy, ça fait classe, bien mieux que Rigodon.

 

TOINETTE - Je ne sais pas ce que tu as contre notre nom, mais Mortetruy ça fait un peu cochonnailles non ? Moi, j’aime bien Rigodon, nous avons eu un général dans la famille du temps de Napoléon, ce n’est pas rien !

 

COLETTE - Ah ! Comparé à Mortetruy, il avait un aïeul qui combattait à côté de Louis XI pendant les croisades à Jérusalem.

 

TOINETTE - Qui te l’a dit ?

 

COLETTE - Monsieur le comte lui-même.

 

TOINETTE - Tu lui as tiré les vers du nez ?

 

COLETTE - Je n’ai rien eu à tirer, ni du nez ni d’ailleurs, il a de la classe ! Monsieur le comte.

 

TOINETTE - De la classe peut-être, mais je trouve que tu vas vite en besogne, dès qu’un homme arrive, tu le vois marié avec Charlotte, c’est au moins le 7e, tu bâtis des châteaux en Espagne, tu te montes la tête, et  tout à coup, tout s’écroule, le prétendant s’en va, Charlotte pleure, tu gémis, Aristide ricane, c’était pas le bon, et moi ! Moi je souffre.

 

COLETTE - Tu n’es pas la seule à souffrir, nous souffrons tous, mais cette fois-ci c’est différent, mon petit doigt me dit que c’est le bon, il faut que ce soit le bon. Une chance comme cela ne se représentera plus, un comte, tu te rends compte, avec un De devant, c’est mon rêve qui se réalise !

 

TOINETTE - Ton rêve ou celui de Charlotte ? A t’entendre, on pourrait croire que c’est toi qui te marie.

 

COLETTE - C’est vrai, je suis toute excitée pour Charlotte, elle mérite bien çà, elle a l’âge d’être une comtesse.

 

TOINETTE - Il a un château au moins ?

 

COLETTE - Je ne lui ai pas posé la question, mais même sans château, il fera l’affaire, la particule suffit.

 

TOINETTE - Dieu t’entende ! Mais je trouve qu’ils sont partis depuis longtemps les tourtereaux ?

 

COLETTE - Charlotte lui fait visiter le parc.

 

TOINETTE - Ah ! Parce que maintenant nous avons un parc ?

 

COLETTE - Le verger tu l’appelles comment ?

 

TOINETTE - Un verger avec des arbres fruitiers c’est un verger !

 

COLETTE -  Mais quand on s’adresse à un comte on dit parc, ça fait plus classe !

 

TOINETTE – Oh la la ! Depuis qu’on a un comte dans la maison, ma bru se prend pour une sang bleu !

 

COLETTE - Je fais tout ceci dans l’intérêt de Charlotte, je ne veux que son bonheur !

 

TOINETTE - J’espère que tout se passera bien, elle le mérite, depuis le temps qu’elle attend !

 

COLETTE - Nous aussi, 10 ans c’est long !

 

TOINETTE - Je suis même prête à participer à la dot, avec mes modestes moyens.

 

COLETTE - Ca alors ! C’est nouveau ! Tu es tombée sur la tête ?

 

TOINETTE - Que veux-tu, on change, mais je dois d’abord m’assurer qu’avec ce comte Charlotte ne sera pas le dindon de la farce et nous avec. Bien sûr je ne peux pas aider beaucoup, avec  ma modeste pension, et il faut penser à la cadette.

              

COLETTE - Huguette, elle est encore jeune, et elle trouvera sans difficulté, tous les prétendants de Charlotte l’auraient épousée même sans dot.

 

TOINETTE - Donc monsieur le comte ne devra pas voir Huguette avant le mariage ?

 

COLETTE - On ne va pas la séquestrer tout de même, mon intuition me dit que cette fois-ci c’est différent, c’est sérieux, ce comte m’inspire, j’y crois !

 

TOINETTE - J’espère que ce n’est pas un conte… De fée, qui va se terminer en cauchemar !

 

 COLETTE - J’y crois parce qu’aujourd’hui, Charlotte a aussi emballé un autre prétendant, je ne sais plus son nom, Popaul je crois, mais entre les deux, je n’hésite pas une seconde, ha ha ! Je choisis le comte !

 

TOINETTE - Surtout que l’autre venait pour la place de commis ! Bien sûr, il ne fait pas le poids, face à un comte, mais il n’a pas de dettes lui !

 

COLETTE - D’où tiens-tu que monsieur le comte de Mortetruy a des dettes ?

 

TOINETTE - Mon petit doigt. Ces gens-là, ne se mêlent à notre monde que quand ils n’ont plus le sou, quand ils sont aux abois, et mon intuition me dit que ce comte aboie, pardon, il est aux abois !

 

COLETTE - Rigodon aurait invité chez lui un homme aux abois ? Tu m’excuses mais je connais assez ton fils pour te dire que ce n’est pas du tout dans ses habitudes.

 

TOINETTE – On verra bien. ( Coup de sonnette, c’est Léontine Brunet).

 

LEONTINE – Bonjour mes chères amies, je passais et comme je sais que vous attendez toujours ma visite avec beaucoup de plaisir, je n’ai pas résisté à l’envie de…

 

TOINETTE – Oh ! Mais aujourd’hui tu tombes plutôt mal !

 

LEONTINE – Tant pis ( Elle leur fait la bise) j’ai pourtant une information importante qui peut vous intéresser.

 

TOINETTE -  Un cancan ?

 

LEONTINE – Un cancan ? Tu me connais, jamais de ragots, que des nouvelles fraîches.

 

COLETTE   Alors cette information ?

 

LEONTINE – Voilà, il s’agit d’un homme qui pourrait intéresser Charlotte. Il a tout juste  cinquante six ans, très bien mis, très propre, il était au chemin de fer.

 

COLETTE – Il n’était pas chef de gare ?

 

LEONTINE – Mais si, comment le sais-tu ?

 

COLETTE – Je devine parfois les choses. Il est célibataire ?

 

LEONTINE – Hélas non ! Mais sa femme l’a quitté pour un guitariste de passage.

 

TOINETTE – Il peut donc chanter, il est cocu le chef de gare. C’est drôle non ? Bon, je n’insiste pas. Mais pourquoi ne tentes-tu pas ta chance toi-même ?

 

LEONTINE – Moi-même ? Pas question. Notre couple serait mal assorti. Il est trop jeune pour moi. En nous voyant les gens diraient : Voilà un gentil monsieur, il promène sa maman.

 

TOINETTE   Tu es lucide Léontine. Il a quoi de spécial cet homme ? Un château, ou un nom à particule peut-être ?

 

LEONTINE – Il n’a rien de tout çà, il a un nom tout simple Dujarret.

 

TOINETTE – Ce n’est pas une particule, c’est un nom pour un boucher.

 

COLETTE – Toinette, tes blagues ne sont pas drôles, mais vois-tu Léontine, Charlotte  ne voudra pas d’un vieillard.

 

LEONTINE – Cinquante six ans pour un homme c’est la force de l’âge.

 

TOINETTE – Tu n’as pas compris ? Un vieux Dujarret, sans château, sans particule ce n’est même pas la peine d’y penser.

 

LEONTINE – Je ne comprends rien du tout.

 

COLETTE ( coup d’œil furieux à Toine)– Ce n’est pas grave, les plaisanteries de Toine sont incompréhensibles, mais je dois vous laisser, j’ai des choses urgentes à régler. (Elle sort).

 

TOINETTE – Maintenant que nous sommes seules, tu peux me dire la vérité, au sujet de Dujarret, ne me dis pas que tu n’as pas essayé de le séduire, je te connais trop !

 

LEONTINE – Tu ne diras rien à personne ? Je l’ai même invité chez moi sous un prétexte futile et je lui ai sorti le grand jeu, la totale quoi, lumières tamisées, robe du soir, et même champagne, ce fut un bide total, car il m’a annoncé qu’il en aimait une autre, inaccessible pour lui. Une fille qu’il a vu plusieurs fois quand elle prenait le train. Il ne connaissait que son prénom, Charlotte. J’en ai été toute retournée.

 

TOINETTE – Mais il n’y a pas que notre Charlotte sur terre.

 

LEONTINE -  Elle prenait le train pour ses études non ? Et il sait que c’est la fille d’un huissier. Bref, pour elle ce serait du cousu-main.

 

TOINETTE – Mais en ce moment elle a d’autres fers au feu.

 

LEONTINE – Elle a trouvé quelqu’un ? Dis-moi qui ? C’est passionnant ! Je veux savoir.

 

TOINETTE – Rien du tout, je ne dirais rien, car je ne sais rien !

 

LEONTINE – Tu n’es pas gentille, moi je te dis tout et toi, tu ne me dis rien, nous sommes quand même  amies, nous n’avons pas de secrets l’une pour l’autre, alors !

 

TOINETTE – Je ne peux rien te dire car il n’y a rien, voilà ! Mais dis-moi Léontine, je te regarde et je me demande si tu n’as pas forci, tu devrais faire attention !

 

LEONTINE – Forci ! Bien sûr que j’ai forci ! Deux kilos après le refus du chef de gare, je me suis empiffré quatre boites de chocolats, des bonbons, mais maintenant je suis écœurée, rien que des tisanes et des yoghourts.

 

TOINETTE – Ma pauvre Léontine, tu sais bien qu’à ton âge on doit faire le deuil de ces choses-là, l’amour ce n’est  qu’une illusion.

 

LEONTINE – A mon âge ? C’est aussi le tien, à trois mois près tu sembles l’oublier !

 

TOINETTE – Trois mois ce n’est pas rien, mais je plaisantais. Au fait tu pourrais me présenter ce Dujarret à l’occasion.

 

LEONTINE – Tu plaisantes ? Tu n’as aucune chance, trop vieille ma chère !

 

TOINETTE – Sait-on jamais, mais ce n’est pas pour moi, je voudrais le jauger, si éventuellement Charlotte pourrait être intéressée, je connais ses goûts.

 

LEONTINE – Pour Charlotte ? Tu en es certaine ? Au fait tu dois encore me dire si elle a trouvé un parti.

 

TOINETTE – Elle n’a rien trouvé, et je ne sais rien !

 

LEONTINE ( regarde sa montre) – Tu ne veux rien me dire, j’ai compris,  tu ne me fais pas confiance, adieu ! ( Elle sort).

 

 TOINETTE ( pour elle-même) – C’est cela, c’est cela, quelle soupe au lait ! Elle aurait tôt fait de propager la nouvelle dans tout le quartier. (Colette revient par la cuisine).

 

COLETTE – Elle est partie notre commère ?

 

TOINETTE – Un peu dépitée, notre Léontine, je ne lui ai rien dit, au sujet du comte. Mais ce chef de gare, on peut le garder sous le bras, ou dans l’armoire, si le comte ne donne rien, c’est une position de repli. Cinquante six ans, ce n’est pas vraiment vieux, peut-être qu’il est bel homme….

 

COLETTE – Il pourrait peut-être t’intéresser.

 

TOINETTE – Moi ? Mais c’est un gamin, et je ne pense plus à ces choses là. Ce n’est plus de mon âge.

 

COLETTE – En tout cas, ce n’est pas un parti pour Charlotte, elle mérite un avenir beaucoup plus , beaucoup plus…

 

TOINETTE ( perfide) – classe, avec un comte à particule !

 

COLETTE – Pourquoi pas ? Avoues que ce serait plus excitant ( Entrée d’Huguette.)

 

HUGUETTE - Bonjour Mère, bonjour Mémé, j’ai croisé Léontine dans l’escalier, elle faisait une tête. Que voulait-elle ? Mais vous avez l’air toutes les deux de conspiratrices, il y a peut-être quelque chose que je devrais savoir ?

 

COLETTE - C’était une conversation de grandes personnes, mais tu es déjà de retour ?

 

HUGUETTE - Oui, et moi je suis encore une gamine, je n’ai pas droit aux secrets des grandes personnes, il faut dire que je n’ai que 24 ans.

 

TOINETTE - Nous avons de la visite aujourd’hui, un comte, il a été invité par ton père.

 

HUGUETTE - Un comte invité par père, voyons voir, il est vieux et riche sans doute !

 

TOINETTE - A vue de nez il a 50 ans, pour la richesse on n’a rien remarqué, ou bien il le cache très bien.

 

COLETTE - Ce que ta grand-mère ne te dit pas c’est qu’il a une particule. Monsieur le comte de Mortetruy, et ça vaut une fortune !

 

HUGUETTE - C’est une bonne occase pour Charlotte, elle qui cherche à tout prix à se caser, parce que moi, les particules ! En plus 50 balais !

 

COLETTE - Pour le moment, il est notre invité, et je prierais tout le monde d’être aimable avec lui.

 

HUGUETTE - Nous serons aimables, n’est-ce pas Mémé ? Mais alors ce soir on va dîner aux chandelles, c’est vrai il faut fêter cela dignement, champagne, caviar, rien ne doit être trop beau pour monsieur le comte de Truiecrevé.

 

COLETTE - Mais qu’est-ce que tu racontes, c’est Mortetruy, ne t’avises pas de sortir ce genre de plaisanterie en présence de monsieur le comte !

 

HUGUETTE - Oh, la, la ! Si on ne peut plus plaisanter ! Moi je vais aller me changer, je crois que ma tenue n’est pas présentable pour un duc !

 

COLETTE - C’est un comte, et je compte sur toi pour ne pas faire d’impair !

 

HUGUETTE - Mais tu me connais Maman, je sais me tenir quand même ! Si un certain Marc arrive, tu m’appelles tout de suite.

 

COLETTE - C’est qui ce Marc ?

 

HUGUETTE - Un copain à moi, je l’ai rencontré au tennis.( Elle sort.)

 

COLETTE - Elle en a treize à la douzaine des copains, j’espère que ce garçon est sérieux !

 

TOINETTE - C’est une brave fille, elle sera mariée avant 25 ans.

 

COLETTE - J’ai entendu une voiture, c’est  Aristide qui revient. On va préparer l’apéritif pour la  réception en l’honneur de notre invité.

 

TOINETTE - A ta place j’attendrai de lui en parler, on ne sait jamais, ce comte n’est peut-être pas le bon !

 

COLETTE - Rigodon l’a invité, Rigodon doit le recevoir. C’est l’occasion unique de caser Charlotte, alors dépêchons, on a juste le temps, il passe toujours à son bureau avant de monter.        

 

TOINETTE - Moi je n’ai rien entendu, je ne me mouille pas dans cette affaire, je veux rester clean .           

  

 COLETTE - Clean ? Voilà que tu parles anglais maintenant, de toute façon, je prends tout sur moi, l’avenir de Charlotte est en jeu, et je suis prête à sortir mes griffes pour assurer l’avenir de mon enfant.

 

TOINETTE - Il va y avoir de l’animation, ( au public) Finalement , j’ai hâte de voir çà !

( Elles sortent. ) (35 mn)

 

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